Sonia Feertchak réactualise chaque année L'Encyclo des filles. Elle a aussi publié un Manuel d'autodéfense féministe. Autant dire qu’elle en connaît un rayon sur la gent féminine. On lui a posé 5 questions sur son dernier ouvrage au titre évocateur Les femmes s’emmerdent au lit.
Santé Magazine :
« Très concrètement, ça veut dire quoi "s'emmerder au lit" ?
Ne pas jouir ? »
Sonia Feertchak : « "S’emmerder au lit", c’est être capable de penser à autre chose lorsqu’on fait l’amour et c’est aussi se sentir remplaçable. Ce n’est donc pas tant le fait d’atteindre l’orgasme ou pas. Le plaisir que j’évoque dans mon livre est un plaisir psychique : être gratifié par le désir de l’autre, être reconnu(e) dans sa singularité. C’est ce plaisir qui nous évite l’ennui au lit et qui nous est délivré par le désir de l’autre qu’on soit un homme ou une femme d’ailleurs. Et qu’on soit hétéro ou homo.
Quand on est désiré(e), c’est qu’on est perçu comme vital(e), et c’est délicieux ! C’est un plaisir narcissique indispensable. C’est important de ne pas faire l’impasse sur cette sorte de force d’attraction terrestre à l’échelle des individus : on "tombe" amoureux, on est "aimanté" l’un(e) par l’autre. Ce ne sont pas que des mots. »
« Je n’y ai pas vraiment pensé ! Cela fait plus d’un mois que les gens lisent mon ouvrage et j’ai surtout l’impression d’avoir levé un tabou chez les femmes mais pas seulement. Je reçois aussi des éloges de la part d’hommes, tout aussi concernés par le sujet. Du point de vue générationnel, des femmes de plus de 80 ans ont lu mon livre aussi attentivement que les digital natives qui, même si elles parlent de sexe à longueur du journée, rencontrent aussi de réels problèmes de désir quand il s’agit de le faire durer dans une relation longue. Je crois que c’est un livre qui parle à tout le monde, en somme. »
« Est-ce que la pornographie et certains diktats féministes ont bridé nos désirs contemporains ? De quelle façon ? »
« Jusqu’aux années 70, quand un homme désirait une femme, c’était de la faute de la femme. Un des combats des féministes a donc été de dire « attention les hommes aussi sont responsables/coupables de leur désir. » Elles ont voulu lutter contre la toute-puissance du désir masculin mais pas contre le désir masculin lui-même. Il y a eu amalgame. La pornographie en a rajouté une couche en réduisant les femmes ET les hommes à des objets sexuels. On a fini par intérioriser le fait que le désir masculin est salissant, rendant les hommes coupables d’assumer leur désir.
Du côté des femmes, leur victimisation historique est une abomination. Donc, peu à peu, on a vu s’opérer un glissement intéressant de « il ne faut pas être une "salope/pétasse" pour des raisons patriarcales » à maintenant « il ne faut pas être une "salope/pétasse" pour ne pas trahir le travail des féministes ». Tout cela a contribué à brider nos désirs, c’est certain. On est encore en plein dedans. »
« Existe-t-il des solutions pour développer et faire durer le désir pour l'autre ? »
« Je n’ai pas écrit un livre de développement personnel ! Mais j’ai donné l’opportunité aux gens de se reposer la question de ce qu’on attend les un(e)s des autres en faisant table rase du passé, de l’histoire, des idéologies, etc. Une des solutions serait d’amener les hommes à assumer leurs désirs en étant respectueux, en étant à l’écoute des femmes.
Un désir n’est jamais néfaste du moment qu’il est respectueux. Les positions ne sont pas salissantes, les pratiques non plus, les amant(e)s parfois ! Voilà pourquoi il serait bon de mener quelques exercices intellectuels pour déculpabiliser les partenaires vis-à-vis de leurs désirs et fantasmes. »
« Vous avez confié au magazine Elle que les "jeunes filles, à l’orée de l’adolescence, sont bercées par des modèles à la fois extrêmement sujets et extrêmement objets. Angelina Jolie, Beyoncé, Miley Cyrus sont dans une double quête : être hypersexuelles et revendiquer une indépendance guerrière.» Quels conseils donneriez-vous à une jeune fille "prise au piège" dans ce paradoxe ? »
« On n’est pas tenue d’être hypersexuelle… Si on n’a pas envie de faire l’amour, on a le droit. Il ne faut pas se laisser guider par des injonctions très piégeuses. L’important, c’est vraiment d’être soi même. Car le désir, alors même qu’on l’a évincé de la sphère sexuelle, est omniprésent dans la sphère sociale et partout dans les médias : il faut être désirable et désirante.
"Je suis féministe et je montre mon cul" : j’ai du mal à accepter ce concept. Beyoncé, par exemple, n’est pas libre de faire ce qui lui plaît mais ce qui plait, c’est totalement différent ! Miley Cyrus, quand elle danse le twerk, s’assure des millions de vues sur YouTube. Il n’y a aucune transgression là-dedans et encore moins de bravoure. Ce serait plus osé de venir chanter en col roulé. En revanche, Colette qui, en 1907 lors d’un numéro de mime, danse nue et dévoile un bout de sein : en voilà un réel acte de libération et d’audace. »
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